SUD OUEST
BERGERAC Jeudi 13 juillet 1995
En souvenir de Jeanne Sully
Jeanne Sully, la fille l’illustre Mounet-Sully, elle-même sociétaire de la Comédie-Française, vient de s’éteindre à Paris. Son petit-fils, Frédérick Sully, évoque pour nous son souvenir.
Jeanne Sully, s’est éteinte, à Paris, le 28 juin dernier. Fille du grand Mounet Sully, nièce de Paul Mounet, chers aux cœurs des Bergeracois, elle n’eut pas avec Bergerac la même relation que ses aînés. Pour autant, elle avait beaucoup de respect pour Bergerac et les Bergeracois, témoigne son petit-fils, Frédérick Sully qui a veillé sur elle ces dernières années. Pour « Sud-Ouest », il évoque ici son souvenir.
« C’est avec la plus grande émotion que je vais tenter pour les amis de Bergerac d’honorer la mémoire de ma grand-mère. Depuis ses premiers pas elle n’a côtoyé que des génies. Mounet-Sully, Paul Mounet, Sarah Bernhardt, de Max et sa mère, Jeanne Rémy, vont l’entrainer vers le sublime. Irrémédiablement attirée par tout ce qui est grand, elle va voler de cimes en cimes et obtenir en 1924 un second prix de comédie et en 1925 un premier prix de tragédie qui n’est pas sans rappeler celui obtenu par son père. Cette même année 1925, elle est âgée de vingt ans et fait ses débuts comme pensionnaire du « théâtre de Molière » en jouant le rôle de Junie dans Britannicus de Racine, aux côtés de messieurs Sylvain, Alexandre et Escande, de Mme Segond-Weber.
Jusqu’en 1946, elle jouera avec enthousiasme les grandes jeunes premières : la reine de Ruy Blas, Roxane de Cyrano de Bergerac et les plus célèbres rôles de travestis : Chérubin du Mariage de Figaro et Viola de la Nuit des rois de Shakespeare. En 1937, elle accède au sociétariat et incarne à l’écran dans « Soeurs d’armes » de Léon Poirier, le souvenir de Louise de Bettignies, héroïne de la guerre 1914-1918.
Tout au long de sa carrière, dans ce que naguère son père avait contribué à rendre plus glorieux, elle n’aura monnayé sa réputation. Pendant les années particulièrement difficiles de l’occupation, elle refusera plusieurs fois de céder aux exigences allemandes affirmant ainsi son caractère très patriote. Jusqu’au dernier jour, elle restera honnête et fidèle et s’attachera à se conduire en parfaite sociétaire. Après son départ du « Français », elle entame, à la demande de l’Alliance française, une nouvelle carrière de conférencière qui lui fera faire le tour du monde et où elle remportera un immense succès. Afin de récompenser une vie entièrement consacrée à l’art, elle sera décorée de la Légion d’honneur à la demande des poètes français.
La discrétion qui la caractérisait ne nous permet pas de mesurer l’importance d’une telle perte, mais je garderai toujours le souvenir ému de cette femme qui, à la ville comme à la scène, était éprise d’héroïsme et d’idéal et dans le cœur de laquelle résonnait si fort la devise : par la foi ! Elle nous a quittés, rejoignant ainsi « ces Dieux, qui vêtus d’air, marchaient parmi les hommes », résumant en une phrase, avec la fierté d’Iphigénie, une vie entière d’admiration : quel plaisir de me voir la fille d’un tel père ».
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