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LA NAISSANCE DU CINEMA
par René Jeanne et Charles Ford

Auguste et Louis LUMIERE en 1895
– Entrez, messieurs dames, entrez. Venez voir un phénomène unique au monde ! Venez voir la merveille des temps modernes !
Devant le Grand Café, à Paris, à l’angle de la rue Scribe et du boulevard des Capucines, au centre des vrais Grands Boul’, un aboyeur s’égosille pour convaincre les badauds qui se pressent malgré le froid devant une affiche bariolée.
Nous sommes le 28 décembre 1895, en pleine trêve des confiseurs, et la foule circule lentement entre les petites baraques.
[…]
Cependant, l’affiche, dans la tradition pimpante de Chéret, de Willette, et du jeune Cappiello, éclate de couleurs. Un vieux prêtre, bonhomme, bréviaire sous le bras, cherche à se frayer passage parmi la foule de l’image devant un agent ganté de blanc. C’est un peuple hétéroclite de figurants : enfants en chapeau Jean-Bart, polytechniciens à bicorne, gommeux monoclés, dames à cabriolets empanachés d’autruche se bousculent sous l’œil hilare des trois sergots barbichus. Au-dessus, en lettres énormes, l’inscription : « Cinématographe Lumière »
Il n’y a pas de différence entre la foule de l’affiche et la foule qui regarde l’affiche.

CINEMATOGRAPHE LUMIERE – Affiche de Henri Brispot – 1895
Le bonimenteur souffle un instant dans ses doigts, tape du pied et reprend :
– Entrez, mesdames et messieurs, vous allez voir ce que vous n’avez jamais vu. Des personnages grandeur nature qui vivent et remuent sur une toile comme s’ils étaient parmi vous ! Oui madame ! Plus fort que la lanterne magique ! Une demi-heure de spectacle ininterrompu. Un franc seulement. Vingt sous.
[…]
Un couple s’engage dans l’escalier étroit du Grand Café et débouche dans une salle de dimensions modestes, dont les murs disparaissent sous des tapis genre Orient. Des chaises de fer pliantes sont disposées en rang dans cet ancien fief des joueurs de billard « Le Frottin » baptisé « Salon Indien ». Sur le mur du fond, on a disposé une toile blanche de la grandeur d’un drap d’enfant.
Sous cet écran improvisé, un pianiste invisible tape les premières mesures d’une valse à la mode, valse mauve, valse, bleue, valse cyclamen, hussard majuscule et fascination.
– Ah zut ! C’est bien de la lanterne magique, ni plus ni moins. Nous sommes refaits, proteste Madame, aigre.
Tout à coup, la lumière s’éteint, bien que la salle soit presque vide, tandis qu’un grignotement de grosses souris s’installe dans les intervalles du piano et qu’un projecteur vise péniblement l’écran avant d’y fixer les mots qui ne sont pas encore magiques :
CINEMATOGRAPHE LUMIERE
Le couple grognon s’apprête à quitter ses places pour aller noyer sa déception dans un Vin Mariani ou une « mominette », lorsque le titre disparaît. Et c’est le miracle. L’image dansante d’une grille d’entrée d’usine surgit. Et ce n’est pas une photo, ça bouge. Des ouvrières souriantes sortent d’un pas pressé, la jupe retroussée, le corsage confortable. Un jeune cycliste en casquette pédale, prêt à crever l’écran et semble se diriger vers le spectateur.
– Ho !, font d’une seule voix les rares assistants.
L’image mouvante est sautillante, mais quelle étrange illusion ! C’est la vie même ! Le couple bourgeois se rassied dans un soupir enchanté. Le cinéma vient de faire ses premières conquêtes.
Un « frisson nouveau » est né.
René Jeanne et Charles Ford – « LE ROMAN VRAI DE LA IIIe REPUBLIQUE » Editions Denoël – 1956
Pour en savoir plus et continuer cette fabuleuse aventure : Institut Lumière