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SUDOUEST

Dordogne Dimanche 18 septembre 2016

Périgueux / Bergerac / Sarlat

« MON DEVOIR DE MEMOIRE »

Bergerac

L’exposition consacrée au grand comédien oublié Mounet-Sully doit beaucoup à son arrière-petit-fils

Daniel Bozec

d.bozec@sudouest.com

Il a fallu insister pour tirer son portrait au milieu de la salle d’exposition, lui qui se sent « bien dans l’ombre ». Sa modestie en souffrira, mais Frederick Sully, 50 ans et arrière-petit-fils du glorieux comédien Mounet-Sully, n’est pas le simple « passeur » qu’il prétend être. Acharné depuis une vingtaine d’années à reconstituer l’épopée de son bisaïeul, il a alimenté et nourri l’exposition inédite du presbytère Saint-Jacques (1), cent ans après la mort du tragédien né à Bergerac et dont le commun des mortels ne sait à vrai dire pas grand-chose.

C’est là que réside le grand mérite de cette exposition, montée en trois mois et demi avec Sylvie Carpentier, du service culture de la Ville de Bergerac : elle donne à connaître Mounet-Sully avec un art consommé de la synthèse, de son adolescence bergeracoise, à travers les « Souvenirs d’un tragédien » qui gagneraient à être réédités, à ses plus grands rôles dans « Hernani », « Ruy Blas », « Andromaque », ou encore « Œdipe-roi ».

Immense vedette

« Découvrir Mounet-Sully pour ceux qui ne le connaissent pas et redécouvrir Mounet-Sully pour ceux qui le connaissent »

Figure de commandeur et regard follement acéré, Mounet-Sully est de toutes les tragédies de l’époque en bon sociétaire de la Comédie-Française et comédien fétiche de Victor Hugo. Des tournées qui le conduisent en province comme aux Etats-Unis, où il a joué « Hamlet » de Shakespeare. A la croisée du théâtre et du cinéma frémissant, son nom apparaît en tête de liste sur une affiche de 1901 des premiers « films d’art Pathé ». L’exposition n’en restitue pas moins les aspérités de l’artiste, entres ses tourments mystiques affleurant au détour d’une consultation chez le chiromancien et des extraits de sa correspondance amoureuse avec sarah Bernhardt, que l’on ne présente plus. Photos, notamment au Château de Garrigues sur la route de Mussidan, textes, effets personnels : quel que soit son degré de curiosité, le visiteur trouvera à picorer parmi la centaine de pièces présentées.

« Cette exposition est vraiment comme je l’avais espérée », dit Frédérick Sully, qui s’en tient à une formule : « Découvrir Mounet-Sully pour ceux qui ne le connaissent pas et redécouvrir Mounet-Sully pour ceux qui le connaissent ». Ce n’est pas faire injure à l’arrière-petit-fils que de constater combien ces derniers sont fort peu nombreux. Comment Mounet-Sully est-il tombé dans l’oubli en quatre générations ? Frédérick Sully a sa petite idée : « Il meurt en 1916 au lendemain de la bataille de la Marne. On lui promettait des obsèques nationales mais elles n’ont pas eu lieu. La guerre dure et, en 1918, on compte les morts ». S’y ajouterait « l’éducation rigoureuse de l’intéressé, fils d’un propriétaire de métairies. «  Il y a sans doute moins d’exubérance qu’une Sarah Bernhardt qui a créé son mythe. Cela dit, même Sarah Bernhardt commence à passer à la trappe. Ses liaisons font jaser, mais on oublie la grande actrice qu’elle fut… ».

Tiraillements

Si Mounet-Sully fut un « grand mystique », son arrière-petit-fils est à coup sûr un grand sentimental. L’histoire familiale a sauté à la figure de cet ancien d’un institut de sondage il y a plus de vingt ans. C’était au chevet de sa grand-mère atteinte de la maladie d’Alzheimer. Décédée en 1995, Jeanne Sully, elle-même sociétaire de la Comédie-Française, avait défriché le chemin la première, donnant des conférences sur la « vocation de l’acteur » à partir des écrits laissés par Mounet-Sully. Malade, elle a livré ses souvenirs d’enfance à ce petit-fils aimant qu’elle prenait pour « un journaliste » jusqu’à rendre son dernier souffle, à 90 ans. « C’est un devoir voulu de mémoire », poursuit Frédérick Sully, un brin tiraillé entre « l’aboutissement » que représente cette belle exposition bergeracoise et son incessante quête familiale. Ainsi songe-t-il à retravailler des extraits sonores de son bisaïeul, entre autres projets, pour être au plus près de la voix d’origine : « C’est le début. C’est une histoire sans fin », souffle-t-il , les yeux embués.

(1) L’exposition, ouverte de 14 heures à 19 heures, s’achève ce dimanche. Entrée gratuite.

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