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Tout comme Pierre Hiégel, la grande Sociétaire Béatrix Dussane, auteur de nombreux ouvrages et conférences sur le théâtre et sur les acteurs, nous donne ici son opinion sur ces « vestiges » sonores.

Ce témoignage sans concessions, nous donne, par des mots simples, un éclairage on ne peut plus juste de cette entreprise débutante à laquelle participèrent bon nombre d’acteurs de théâtre aux noms prestigieux et plus particulièrement Sarah BernhardtMounet-Sully et son frère Paul Mounet.

Puissent ces quelques lignes bannir à jamais des termes comme « ridicule » ou « grotesque » des commentaires de ceux qui font le choix d’écouter ces cires et de remplacer leurs sourires amusés par une expression plus encline à la réflexion et la curiosité ? Puissions-nous enfin comprendre une bonne fois pour toutes, que ces enregistrements, à l’instar des premiers films muets, ne nous révèlent absolument rien du talent ni du jeu de ceux qui se sont prêtés, c’est le cas de le dire, « au jeu ». Pour ceux qui savent ce qu’est vraiment le théâtre, ceci n’est pas du théâtre.

Frédérick Sully

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Mounet-Sully et le phonographe

Non, ne cherchez pas Mounet-Sully, selon nos habitudes actuelles, dans le disque ou sur la pellicule animée. Certes, dès les premiers « cylindres » commerciaux, le phonographe sollicite Mounet-Sully. Mais il a passé la soixantaine, dans l’exercice exclusif de la seule forme alors existante de notre art, et même il a poussé l’originalité – car il se veut intemporel – jusqu’à ne jamais pratiquer ni l’ascenseur ni le téléphone. L’outillage de prise de son est rudimentaire ; les studios ? des caves tapissées de lourdes tentures qui dénaturent les voix, et on est encore à la première génération de techniciens.

Mounet se trompe en choisissant, au lieu d’un fragment de Racine ou de Corneille, un médiocre morceau de bravoure d’Henri de Bornier, mais tout le monde partage son erreur.

Devant l’appareil d’enregistrement, privé de public, amputé de la résonance normale de sa voix, tous ses réflexes de trente ans de métier contrariés et déconcertés, il s’égare, comme le fera, dans les mêmes circonstances, Sarah Bernhardt : il songe aux milliers d’auditeurs inconnus, à la postérité… et il porte tout au maximum : la force de sa voix, les contrastes des antithèses, le relief de la diction… Imaginez ce que donnerait un tel style d’exécution, même à travers nos merveilleux appareils actuels, maniés comme ils le sont par des techniciens acrobates ! il ne nous reste à travers ce document émouvant par son ancienneté, qu’une notion juste, concernant Mounet : le timbre de sa voix.

Béatrix Dussane« Dieux des planches » Editions Flammarion 1900 vécu – 1964