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PUBLICATION
LES CATACOMBES Histoire du Paris souterrain (promenade littéraire dans les « catacombes »)
Cataphile* : nom commun donné aux visiteurs clandestins des anciennes carrières (lexique de la Direction de la Voirie et des Déplacements dont dépend l’Inspection des carrières)
*il convient de distinguer le cataphile, qui aime et donc respecte ces lieux (philein signifiant aimer en grec), du cataclaste, qui les dégrade…
DECOUVERTE
Gilles Thomas, qui vient de publier aux éditions Le Passage (diffusion Le Seuil) son dernier ouvrage intitulé Les Catacombes – Histoire du Paris souterrain, à accepté de dévoiler tout spécialement pour nous les détails inédits d’une plongée sous Paris effectuée par Mounet-Sully aux alentours de 1870 et, plus largement, de nous familiariser avec cette activité insolite qui est aussi sa passion…
En 1782, pour la première fois, un opuscule anonyme mis en vente dans les magasins de nouveautés indiquait que l’on allait créer des « catacombes » à Paris, ceci en référence à celles de Rome. L’adoption de ce mot pour désigner les sous-sols de la capitale se révéla alors, bien au delà des espérances que l’on avait placées en cette désignation pour faire comprendre à la population de quoi il retournait ; ce fut un choix d’une redoutable efficacité.
Le sous-sol parisien va devenir dès lors un objet de fascination pour le public car ce mot de catacombes, évoquant indubitablement la mort, entre en parfaite résonance avec la Ville-lumière : c’est son double obscur qui émerge ainsi à la face du monde et crie sa présence avec laquelle l’on va désormais devoir vivre. Les catacombes vont alors s’immiscer partout, dans tous les esprits, car s’il va circuler de bouche à oreille tel aujourd’hui une rumeur pandémique à la vitesse d’un Internet fou lancé au galop et dopé aux stéroïdes anabolisants, il est également diffusé via la littérature. Les nouvelles et les romans ne vont cesser de propager la bonne parole (Balzac, Élie Berthet, Alexandre Dumas, Victor Hugo, Gérard de Nerval, Eugène Sue, Emile Zola, etc…), faisant boule de neige, et attirant par là même de plus en plus de visiteurs avides de découvrir ces catacombes municipales. Certains vont s’ingénier à tenter également de parcourir les centaines de kilomètres d’arcanes de galeries qui existent par ailleurs mais qui ne sont pas ouvertes au public, bien qu’interconnectées entre-elles et dont l’ossuaire ne représente qu’un sept-centième de la surface. Parmi ces amoureux de Paris, précurseurs des modernes cataphiles qui font trop souvent les gros titres des médias lorsque l’un d’entre eux s’égare sous la ville (alors qu’ils sont des centaines à y circuler), le littérateur Pierre-Léonce Imbert, auteur entre autres de « Les catacombes de Paris » en 1867, puis de « À travers Paris inconnu » en 1876. Accompagné de son complice Paul Perrey, tous deux organiseront à moult reprises des visites de ces carrières parisiennes interdites, entraînant dans leur sillage des amis, de simples curieux, des chanceux dont ils faisaient la connaissance. Parmi les privilégiés invités à venir découvrir ce Paris tant mystérieux qu’insolite, des artistes bien évidemment, mais surtout le futur grand Mounet-Sully !

Mounet-Sully vers 1870 par Eugène Maunoury
Quand Mounet-Sully s’élève dans un rôle « en-dessous de tout » !
Ainsi Pierre-Léonce Imbert décrit, dans la publication en 1876 de son nouveau recueil « À travers Paris inconnu » qu’il dédicace à Paul Perrey (et qui n’est autre que la réédition de l’essai de 1867 publié sous le titre « Les catacombes de Paris » dont Paul Perrey en était l’illustrateur et qui se voit désormais modifié par des adjonctions ou des suppressions (voire des auto-censures)), un exemple de visite qu’il avait l’habitude de faire dans les carrières sous Paris (ossuaire inclus), sans en demander l’autorisation à qui que ce soit, et pour lesquelles il invitait régulièrement des amis ou des personnalités. La promenade effectuée ce « jour-là » (les publications diffèrent sur la date exacte mais en fonction de l’une ou l’autre des versions il pourrait s’agir d’une nuit du mois de mars 1867 ou bien d’avril 1876) par cinq personnes guidées par Pierre-Léonce Imbert (« votre serviteur, qui a souvent, hélas ! mangé du cheval enragé entre les buttes Chaumont et les buttes Montmartre ») et Paul Perrey (« qui a beaucoup voyagé dans les plaines de Montrouge »), peintre qui fréquenta beaucoup les rives de la Bièvre. Et c’est là que le sujet nous intéresse particulièrement car parmi les invités à cette escapade se trouvait Mounet-Sully, mais aussi Claude Cochey un jeune statuaire, un botaniste… et deux touristes, grands voyageurs devant l’éternel car décrits comme ayant « goûté du caviar sur le sommet neigeux du mont Olympe ». Il est intéressant de noter que Mounet-Sully et Cochey n’apparaissent que dans la version de 1876, remplaçant dans la liste des impétrants pénétrants sous Paris deux autres botanistes et que Mounet-Sully y est alors qualifié de Sociétaire de la Comédie-Française (en 1867, Mounet-Sully qui n’est à Paris que depuis un an suit encore les classes de Ballande). L’était-il vraiment au moment de sa visite, ou bien Imbert lui donne-t’il cette qualité parce qu’il l’est devenu depuis, c’est-à-dire au moment de la publication du reprint ?
Mounet-Sully ne fait alors rien d’autres que mettre ses pas dans les traces d’un de ses illustres prédécesseurs sur les scènes parisiennes : Talma (qui visita semble-t’il les carrières de Paris en 1802, comme le laisse supposer l’inscription ci-après, visible sous la rue Saint-Jacques).

Inscription Talma sous la rue Saint-Jacques à Paris © Crédit Gilles Thomas
S’étant rassemblés pour cette activité nocturne qui ne portait pas encore de nom, ils utilisèrent comme moyen d’accès au Paris souterrain un puits au milieu d’un chantier de fondations, dans lequel pendait un câble. Pénétrer tous dans les carrières de Paris leur pris 2 minutes, temps nécessaires donc pour descendre de 20 mètres, mais surtout remonter pratiquement 100 ans en arrière puisque les galeries architecturées dans lesquelles ils allaient circuler n’ont commencées à l’être qu’à partir de 1777. C’est ainsi que le groupe déambula d’abord dans les carrières avant d’arriver à accéder à l’Ossuaire proprement dit. Ils sont bien évidemment munis de moyens d’éclairage divers et variés constitués « d’une lanterne, de bougies », mais aussi de vivres, suivant ainsi les recommandations parues quelques années plus tôt au sujet de tels périples souterrains, mais qui ne concernaient pourtant que la visite publique du musée des Catacombes. Il était ainsi conseillé « de se vêtir chaudement, d’apporter quelque provision de bouche, au moins le classique petit pain, non qu’il fût question de célébrer dans la demeure des morts un banquet funéraire, mais parce que l’on comptait rester quatre heures à faire cette exploration, et qu’il était à craindre que dans ces froides et humides régions quelqu’un ne fut pris de défaillance. » À l’époque, les carrières sous Paris étaient encore hantées, pour ne pas dire peuplées de monstres… volants : « des chauves-souris fouettaient [leurs] coiffures de leurs ailes membraneuses ». Ils s’arrêtèrent dans un carrefour, et firent ce qui est usuel en ce genre de situation lorsqu’il est prévu de demeurer quelque temps sur place, ils éteignirent leurs bougies afin de les économiser et allumèrent un punch (firent-ils réchauffer cette boisson alcoolisée à base de rhum, parfumée de citron et de cannelle ?), et ce qui s’y passa est si peu banal que cela mérita de demeurer dans les annales : « Mounet-Sully nous dit alors La Curée, de Barbier (Auguste). Durant dix minutes, transporté par le grand souffle patriotique qui traverse les strophes sonores, il nous tint haletants sous sa parole vibrante. Les échos grondaient, sinistres, dans les ténèbres des galeries : nous entendions « hurler les cloches », « la grêle des balles siffler » et la Marseillaise répondre « au lugubre accent des vieux canons de fonte ». Puis, tout à coup, la « vierge fougueuse », la Liberté, « forte femme aux puissantes mamelles, à la voix rauque », si vigoureusement sculptée par Rude, se dressait, radieuse, aspirant à pleines narines l’odeur âcre de la poudre, livrant ses « durs appas » aux terribles caresses des « bras rouges de sang », et dans l’Ossuaire frémissaient les os épars des victimes de la rue, et dans l’air, autour de nous, se formaient des spectres de combattants, et nous voyions la sainte canaille broyer un trône avec quelques tas de pavés. Non ! jamais peut-être cette poésie qui cingle comme un coup de fouet, éclate comme la trompette apocalyptique, ne remua plus profondément des âmes passionnées pour les idées modernes. Le décor était fantastique comme un conte d’Hoffmann. Toutes les formes, indécises, se perdaient dans ces noirs opaques qu’affectionne Ribot (Théodule). Noyés dans l’ombre, vaguement léchés par les langues bleues du punch, qui nous coloraient de teintes livides, nous semblions écouter du fond de la tombe les sublimes appels la vie de la Déesse populaire.
Le jeune et grand artiste de la Comédie-Française a, depuis, créé des rôles qui l’ont classé parmi les meilleurs tragédiens de notre époque ; jamais il ne fut mieux inspiré, plus émouvant que dans ce sombre carrefour. »
Gilles Thomas
GILLES THOMAS est fonctionnaire à la Ville de Paris, coauteur de l’Atlas du Paris souterrain, conseiller technique de multiples ouvrages et documentaires, il est « LE » spécialiste du sous-sol parisien.
Si vous souhaitez en savoir plus et découvrir son « Mounet-Sully sous Paris, ou le théâtre des Catacombes » (inédit), téléchargez sans attendre l’intégralité de son texte en cliquant ici (pdf)
Retrouvez également le Podcast de l’interview de Gilles Thomas donnée à ICI Radio-Canada pour l’émission Les samedis du monde animée par Arnaud Decroix (Samedi 31 octobre 2015) : « Le mystère des Catacombes ».
A lire également ci-dessous : CATACOMBES, une ville sous la ville (Figaroscope 2008)